Interview
Jimmy Coste habite à la Seyne sur Mer, à côté de Toulon. Son projet de thèse encadré par Magali Brunel au Laboratoire d'Innovation et Numérique pour l'Éducation (LINE) explore les pratiques actuelles et futures de l’enseignement de la littératie numérique et lance des ponts entre sciences du numérique et sciences de l’éducation.
Lauréat d’une allocation doctorale DS4H en 2020, il nous propose un premier retour d’expérience un an après le début de sa thèse.
Propos recueillis le 7 octobre 2021.
Jimmy Coste présente un poster dans le cadre de la journée scientifique SFERE-Provence dans le champ de l'éducation et de la formation (28/09/21, Marseille).
- Quel parcours vous a amené jusqu’à la thèse ?
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Mes études supérieures ont débuté à la Faculté de droit à l’Université de Toulon, avec un Master en droit public, spécialisé en droit et gestion des collectivités territoriales. Ma voie était a priori tracée : ce serait d’abord les concours, puis une carrière administrative.
Pourtant, bien que les cours m’aient beaucoup apporté, en tant que citoyen, pour connaître les lois et comprendre le fonctionnement d’une collectivité territoriale par exemple, les stages de M2 m’ont montré que je n’étais pas particulièrement attiré par les métiers qui s’offraient à moi. En revanche, j’ai depuis toujours été intéressé par l’enseignement et l’éducation. Je me suis donc réorienté vers un Master Métiers de l'Enseignement, de l'Éducation et de la Formation (MEEF).
J’ai obtenu le Concours de Recrutement de Professeurs des Ecoles (CRPE). En 2ème année de Master, je suis devenu professeur des écoles stagiaire. Cette année alliait une part de pratique auprès d’une classe, sur le terrain, et une part de recherche, de méthodologie, qui a abouti à la rédaction d’un mémoire, appuyée sur l’expérience conduite en classe. Cette initiation à la recherche dans le domaine de l’éducation m’a plu. Ma directrice de mémoire a alors commencé à évoquer la possibilité pour moi de poursuivre dans cette voie. - Tout jeune Professeur des écoles, quel a été le déclic pour retourner aux études ?
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Ma participation au concours « Mon mémoire en 180 secondes » en 2019 a été en cela une expérience déterminante. J’y ai représenté l’Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (INSPÉ) de l’Académie de Nice lors de la finale nationale à Reims. A cette occasion, j’ai pu échanger avec beaucoup d’autres étudiants de tous horizons, dont certains se projetaient davantage que moi dans un parcours de doctorat. Ces rencontres ont alimenté ma réflexion et m’ont conduit à envisager plus sérieusement la thèse.
C’est là qu’est intervenu le coup de pouce décisif du programme d’allocations doctorales de l’EUR DS4H. J’ai réfléchi à un sujet, avec Magali Brunel, directrice de l’INSPÉ de la Seyne-sur-Mer à l'époque, qui est depuis devenue ma directrice de thèse. Notre projet a eu la chance d’être lauréat.
J’ai pu me mettre en disponibilité de l’Education Nationale pour motif d’études et de recherche, et débuter ma thèse dans de bonnes conditions en octobre 2020. - Votre thèse s'intéresse à la littératie numérique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
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Je portais déjà un grand intérêt aux questions d’éducation à la citoyenneté. C’était d’ailleurs l’un des sujets de mon mémoire de M2 qui portait sur le dispositif du « Conseil d’élèves » (dont l’objectif est de permettre aux élèves d’être davantage acteurs de leur vie de classe en les responsabilisant via une prise de décision collective).
J’avais par ailleurs un attrait particulier pour l’enseignement du numérique, que j’ai nourri grâce aux cours de TICE de Laurent Heiser à l’INSPÉ.
Mon sujet de thèse s’est donc en quelque sorte imposé, en liant les deux !
Dans ce contexte, Magali Brunel m’a initié au terme de « littératie numérique ». C’est un anglicisme peu utilisé France mais plus répandu au Québec, où il apparaît dans les instructions officielles et les programmes scolaires.
Bien que non stabilisé sur le plan théorique, ce terme recouvre une réalité prégnante de notre époque : d’abord, lire et écrire occupe une place prépondérante dans nos sociétés. Pour devenir pleinement citoyen et ne pas être marginalisé, un individu est contraint aujourd’hui de maîtriser la littératie, c’est-à-dire, selon la définition de l’OCDE, l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante.
Ensuite, avec le numérique qui s’impose de plus en plus dans nos relations sociales, nos relations économiques, et même dans la vie publique, le développement d’une nouvelle littératie, la littératie du numérique, devient indispensable pour le citoyen du XXIe siècle. - Le numérique serait en quelque sorte une nouvelle langue vivante à inscrire au programme des écoliers ?
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Cela va au-delà. Un texte numérique n’est pas une simple transposition d’un texte écrit sur un format numérique. Il y a différent savoirs, compétences et méthodes à mobiliser pour pouvoir l’appréhender.
L’enjeu est grand car, alors qu’on annonce 100 % de service public numérisé à l’horizon 2022 et que le numérique touche toutes les sphères de l’activité humaine, il est crucial non seulement d’avoir la capacité à comprendre et à produire les messages nécessaires au plein exercice de sa citoyenneté et de son insertion sociale mais aussi de développer un esprit éclairé et critique sur le flot d’informations qui nous parviennent.
C’est pourquoi la maîtrise de la littératie numérique doit, selon nous, devenir un objectif majeur des enseignements dispensés à l’école primaire. Dès les premiers apprentissages et en particulier dans les années qui suivent l’apprentissage de la lecture, il s’agit de préparer des citoyens intégrés au sein du monde numérique dans lequel ils évolueront inexorablement. - Un an après votre début de thèse, où en êtes-vous ?
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J’en suis encore à une phase d’appropriation du sujet ! Je m’attache à cerner la notion de citoyenneté numérique avec une étude de la littérature existante.
Ensuite, j’aimerais mener une étude de cas basée sur une expérimentation comparée en France et au Québec, pour étudier les différences culturelles et didactiques qu’il peut y avoir entre ces deux pays. Cet échange scientifique et cette réflexion commune sont intéressants car le Québec est en avance sur nous sur l’apprentissage des compétences numériques. Nous sommes en revanche plus avancés en France sur la notion de citoyenneté dans le cadre des cours d’Enseignement Moral et Civique (EMC).
Nous sommes en train de jeter les bases de cette collaboration. D’une part avec une phase amont d’ingénierie pédagogique pour mettre sur pied le protocole de l’expérimentation que je veux mener. Et d’autre part avec la recherche de professeurs volontaires pour accueillir cette expérimentation au Québec sur un trimestre. - Pouvez-vous nous décrire une journée type ?
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Je suis papa depuis peu, donc je commence la journée par m’occuper de mon petit de 5 mois ! Puis je vérifie ma « to-do list » de la semaine (consignée sur un post-it numérique bien sûr).
Dans le travail de thèse, il y a énormément à faire et j’avance en parallèle sur de nombreux points : cela comprend beaucoup de lectures, avec lesquelles j’approfondis ma connaissance théorique du sujet. Je travaille d’ailleurs en ce moment à une recension d’articles qui devrait paraître dans une revue.
Il y a aussi beaucoup d’autres tâches en parallèle, comme la rédaction du résumé de ma première année pour étayer ma réinscription administrative à l’école doctorale, les communications scientifiques (posters, speech, articles). Il y a enfin bien sûr la rédaction de la thèse à proprement parler. - Comment avez-vous gardé le cap pendant le confinement ?
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Cela a été difficile ! Quel contraste entre ma période d’enseignement remplie d’interactions sociales avec ma classe, l’équipe enseignante, les parents, et la période où j’ai commencé ma thèse !
Cela dit, c’est peut-être l’année où le confinement m’a le moins pénalisé (dans cette phase d‘appropriation du sujet, j’étais de toutes façons amené à travailler seul). Cela a été plus difficile pour certains collègues en 2e ou 3e année de thèse qui avaient prévu de mener des expérimentations et des observations en classe.
Heureusement, pour ne pas rester seul face à mon sujet, j’ai la chance d’avoir une directrice de thèse disponible qui m’accorde souvent de son temps pour discuter et avancer et d’avoir aussi au sein du laboratoire LINE une écoute bienveillante.
J’ai aussi multiplié les occasions d’échanger avec d’autres doctorants : j’ai participé aux activités virtuelles de l’association DS4H ADAMS, ainsi qu’aux « Pomodoro » de l’association Parenthèse PACA (des sessions de travail de groupe rythmées par des pauses conviviales). Malgré cela, le « tout distanciel » est devenu pesant. J’ai hâte que le « Campus numérique » de la Seyne ouvre ses portes. C’est un tiers-lieu où chacun peut trouver un espace de travail, sortir de sa bulle, recevoir des gens pour discuter. Je pourrai ainsi physiquement me rendre au travail le matin ! - Quels apports concrets vos travaux pourraient-ils avoir ?
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L’enseignement de la littératie numérique couplée à une approche civique est encore peu répandu : le fait de mettre sur pied une expérimentation originale et une étude de cas qualitative est une première contribution à la connaissance dans le domaine.
Une particularité de nos travaux réside dans le fait qu’ils portent sur les élèves du début de cycle 3 (CM1-CM2-6e). La notion de littératie numérique est en effet peu développée à ce niveau, elle l’est davantage dans le secondaire. Il y a pourtant du travail à faire avec les plus jeunes qui baignent dans le numérique de plus en plus tôt.
Enfin, les résultats de cette expérimentation permettront peut-être d’établir un scénario pédagogique, un protocole, qui pourront être utilisés par des professeurs dans leurs propres pratiques pour faire acquérir des compétences de littératie numérique à leurs élèves. - Que voudriez-vous dire aux futurs doctorants et doctorantes ?
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Au sein de l’association étudiante de l’INSPÉ, j’ai été amené à sensibiliser les étudiants à la difficulté du « métier » de thésard. On est seul face à soi-même. Il faut avoir conscience du travail que cela représente, savoir s’organiser, se responsabiliser, avec la rigueur qu’exige la recherche scientifique. Il faut s’acculturer à ce milieu. Mais c’est plaisant et riche intellectuellement. Il n’y a rien d’insurmontable si on aime son sujet et si on est volontaire.
Quelques formations ADUM m’ont permis de mieux appréhender ce qui était attendu de moi (« Comment bien écrire un article ? », « Comment utiliser les outils comme Word ? »). Je pense même me réinscrire à certaines d’entre elles car j’ai évolué depuis.
Un exercice très formateur est la participation aux événements scientifiques. Par exemple, la journée du SFERE Provence était la première fois où je présentais mes travaux sous la forme d’un poster et d’une prise de parole en plénière, incluant une séance de questions. Cela impose de travailler sa façon de présenter les choses, surtout quand on veut faire l’effort d’être compris par le plus grand nombre (même si l’on s’adresse à ses pairs de la communauté scientifique). C’est très intimidant mais bénéfique au final ! - Que vous apporte le soutien de l'EUR DS4H ?
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Je suis reconnaissant à DS4H de financer ma thèse, à laquelle je peux ainsi me consacrer sereinement sans avoir à exercer une activité professionnelle en parallèle. De plus, l’environnement de thèse (une enveloppe supplémentaire de 10000 euros) qui m’a été octroyé pour financer les expérimentations et les déplacements me permet de laisser libre cours à ma recherche. Cela représente des soucis en moins, c’est très appréciable !Etant le seul doctorant en sciences humaines, ma place au sein de DS4H a pu sembler atypique. Je me souviens d’une première réunion avec l’association ADAMS : j’étais un peu à part ! Mais il suffit que j’explique un peu mon sujet pour qu’on voie bien que les approches des sciences du numérique et des sciences de l’éducation sont complémentaires.
Mon parcours et mon sujet illustrent la pertinence du modèle de transdisciplinarité autour du numérique promu par l’EUR. On a besoin d’humain dans les domaines de l’informatique, de l’IA, etc. Il y a des interconnexions à faire et je suis demandeur de davantage d’interactions. Si mes travaux intéressent d’autres personnes et peuvent s’intégrer dans des réflexions communes, par exemple dans le cadre du GT Numérique lié à l’IA du laboratoire LINE, je suis volontaire ! - Et après la thèse ?
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L’enseignement me tient à cœur. Dans deux ans, je réintégrerai mon poste dans l’Education Nationale. C’est la règle après trois ans de mise en disponibilité. A partir de là, je pense que mon doctorat sera comme une fenêtre ouverte, un bagage qui m’ouvrira d’autres perspectives. Je ne m’interdis pas d’aller vers l’enseignement supérieur, la voie classique après un doctorat, tout en me laissant le temps de voir quelles seront les opportunités.
Mais ce qui est certain, c’est que la démarche scientifique, la culture de la recherche, imprégneront durablement ma façon de travailler et d’enseigner !